Racine carrée du verbe être

Un spectacle présenté par La Colline – théâtre national – Paris

Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Avec Maïté Bufala, Madalina Constantin, Jade Fortineau, Jérémie Galiana, Delphine Gilquin, Julie Julien, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac Olanié, Wajdi Mouawad, Lucile Roche, Nathanaël Rutter, Richard Thériault, Raphael Weinstock
et les enfants en alternance Meaulnes Lacoste, Ulysse Mouawad

Assistanat à la mise en scène Cyril Anrep et Valérie Nègre
Dramaturgie Charlotte Farcet et Stéphanie Jasmin
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumières Éric Champoux
Costumes Emmanuelle Thomas assistée de Léa Delmas
Conception vidéo Stéphane Pougnand
Dessins Wajdi Mouawad et Jérémy Secco
Musique Pawel Mykietyn
Conception sonore Michel Maurer assisté de Sylvère Caton et Julien Lafosse
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
Accompagnement des enfants Achille di Zazzo
Fabrication des accessoires, costumes et décor ateliers de La Colline
Régie générale Arnaud Godest, Éric Morel
Régie son Annabelle Maillard
Technicien son Zacharia Abdeddaim
Régie lumières Gilles Thomain
Chef électriciens Olivier Ruchon
Régie vidéo Xavier Prévot
Régie plateau Sébastien Dupont, Adrien Geiler
Machiniste Emeline Roy
Accessoiriste Griet De Vis
Habilleuses Léa Delmas, Marianne Perreau
Production en tournée Mathilde Langevin

Production : La Colline – théâtre national
avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet
Le spectacle a été créé à La Colline le 8 octobre 2022.
Edition : texte paru en septembre 2023 aux éditions Actes Sud-Papiers

Pourquoi vivre ne semble pas nous suffire ?

Racine carrée du verbe être

Qui pourrait certifier que le monde n’est pas une illusion ? Racine carrée du verbe être, créé en 2022 à La Colline, raconte une semaine de l’existence de Talyani Waqar Malik quand, aux choix qu’imposent des événements, une direction a été prise plutôt qu’une autre.

Puisant dans sa propre histoire, Wajdi Mouawad dessine avec ce spectacle les ramifications variables, intriquant intime et politique, de l’arbre de vie d’un homme qui pourrait être celui de tout homme. Dans un miroitement de situations et d’enjeux, l’auteur metteur en scène et comédien explore tant les frontières de la physique et de la métaphysique que celles de la fiction avec une histoire hors normes, qui n’est pas telle qu’elle fut réellement mais telle qu’elle aurait réellement pu être. Ne nous sommes-nous pas tous un jour posé la question de savoir ce qu’aurait été notre vie si nous avions pris une autre direction ?
Et si… ?

La connaissance de l’être par un être fini se heurte à une limite fondamentale qui est le mystère de l’être. Mais l’amour, lui, ne connaît pas de limite : s’il est vrai que la connaissance est limitée par l’infini, l’amour lui est emporté par l’infini puisqu’aimé c’est être infiniment.
Naji Mouawad, mathématicien

Les ramifications souterraines et aléatoires des arbres pourraient être la version naturelle et imagée des variables mathématiques. Racine carrée accolée au verbe être propose un titre qui porte des dimensions organique et géométrique… Comme l’arbre et son image miroitée sous la terre, les mathématiques apparaissent indissociables de la nature et de la vie. Les mathématiques œuvrent dans le texte autant comme éléments présents en soi et métaphores que comme la structure même.
Le spectateur est d’abord invité à suivre ce récit épousant le fil reconnaissable d’une narration plus linéaire où sont exposées chacune des histoires de cette même famille dans cinq pays différents.
Au fil du spectacle et de ses différentes parties, les rhizomes de ces récits commenceront à s’entremêler, à se superposer, non pas dans la rencontre des histoires en elles-mêmes mais plutôt par leurs combinaisons possibles ; par les résonnances qui tintent et se répondent entre elles. Des échos, des motifs et des similitudes poétiques, philosophiques, tragiques, éthiques apparaissent en effet de plus en plus, se tissant entre eux et malgré les personnages.
Les différents débats intimes ou collectifs qui habitent et agitent ceux-ci finissent aussi par dialoguer.
Cette contraction du fil narratif dans une forme apparemment de plus en plus simple et trouée apparaît au contraire comme une partition dense et virtuose dans son dépliage. Une partition symbiotique qui révèle de plus en plus l’unicité, cette racine carrée de l’être de chaque personnage.
Le texte opère ainsi une sorte de processus de déstratification, un peu comme des poupées russes que l’on ouvre peu à peu. Car il s’agit bien de ces questions que posent la pièce : quelle serait la part immuable de l’être qui reste, qui demeure malgré toutes les avenues possibles qu’auraient pu prendre sa vie ? Quelle part ont les autres et les événements sur ce que l’on devient, ce qui nous construit ? Comment est-on traversé, porté, relié, déterminé avec et par les autres, sa famille ? Quels sont les mots que l’on porte en soi, ceux que l’on apprend et ceux qui nous sont donnés, offerts, imposés ? Il y a quelque chose de l’incomplétude inhérente de l’être qui se condense ici dans l’image mathématique de l’infini.
Dans Racine carrée du verbe être, les mathématiques sont fondamentales autant comme impulsion formelle et structurelle que comme véhicule poétique, rythmique et analogique.

Stéphanie Jasmin